Dans un monde parfait, les rapports humains seraient sincères, authentiques. On se parlerait en toute franchise, sans chercher à manipuler ou dominer l’autre.
Certaines relations sont ainsi. Certaines personnes agissent ainsi. Malheureusement beaucoup de personnes ont des relations qui s’articulent autour de jeux de pouvoirs.
Les jeux de pouvoir, qu’est-ce que c’est ?
Le concept nous vient d’Eric Berne, fondateur de l’analyse transactionnelle. Oui, c’est de la psychologie, mais je vais faire simple.
En observant les interactions entre les personnes, on peut remarquer que certains schémas se répètent encore et encore. Entre ceux qui ont plutôt un vocabulaire agressif, des remarques cinglantes, des propos rabaissants, ceux qui seront plutôt plaintifs, déprimés et déprimants, ceux qui tournent tout à la rigolade, incapables de parler sérieusement d’eux et de leurs sentiments…
Eric Berne a défini plusieurs scénarios auxquels il a donné des noms originaux et explicites tels que “Donnez-moi des coups de pied” ou “Maintenant, je te tiens”.
Un besoin de reconnaissance
Tout ça pour dire que nos échanges ne sont pas toujours sains et sincères. Beaucoup de personnes jouent des rôles, inconsciemment, afin d’obtenir de l’attention, des signes de reconnaissances.
C’est sûr qu’il serait plus confortable pour tous de recevoir des signes positifs, c’est-à-dire des marques d’affection, de tendresse, des encouragements… Et pourtant on a tellement besoin de ses signes de reconnaissances qu’on préférera des marques d’attention négatives que rien du tout.
Tiens, ça te rappelle pas le comportement des enfants de temps en temps ? Plutôt se faire disputer par maman/papa que de ne pas avoir d’interactions du tout… A méditer !
Confortablement installés dans nos croyances
L’autre avantage de ses scénarios c’est qu’ils nous confortent dans nos croyances.
Par exemple, tu penses que tu es quelqu’un d’inintéressant, tu agis comme tel donc tu ne participes pas beaucoup, tu restes en retrait. Forcément, les autres ne vont pas se battre pour être en ta compagnie. Tu peux donc en déduire que tu n’es pas intéressant. La boucle est bouclée. Tout le monde est content.
Content ? Non, pas vraiment. Rester dans nos croyances ne nous rend pas heureux. Pourtant ça nous permet de maintenir un certain équilibre qui nous rassure, nous réconforte. On reste dans un territoire connu. La vie est comme on l’a toujours perçue, rien ne change, je sais à quoi m’attendre.
Sortir de ses schémas demande beaucoup de travail personnel et de courage. Oser affronter la vraie vie, être soi et voir comment les autres réagiront. Ce n’est pas simple.
Tous dans le même bateau
Parfois on se rend compte de ces comportements chez certains. On se dit : “évidemment, il fait tout pour que ça foire”. Mais si on est vraiment honnête avec nous mêmes, si on prend du recul, on verra que nous aussi, dans certains cas, on joue un jeu.
C’est ce qu’on a appris enfant, ce qu’on a toujours fait.
Alors ne jugeons pas trop vite ceux que l’on voit coincés dans leurs scénarios, nous en faisons peut-être aussi partis.
3 costumes possibles
Dans tous ces jeux, plusieurs rôles sont possibles.
C’est le célèbre triangle de Karpman : Sauveur, Victime, Persécuteur.
Quelque soit le jeu auquel nous jouons inconsciemment, nous endossons un de ses rôles. En général, on a tendance à avoir un rôle prédominant mais quelqu’il soit, on sera amené à changer de rôle de temps en temps.
Et puisqu’un jeu ne se joue jamais seul, lorsque je suis persécuteur, mon partenaire sera victime. Si je suis sauveur, il sera victime. Et si je suis victime, il sera sauveur ou persécuteur. Et quand je change de rôle, mon interlocuteur changera également. C’est pour cela qu’on parle de triangle dramatique.
C’est aussi à cause de cela que ce n’est pas si facile de sortir des jeux de pouvoir. Cesser d’être victime sans devenir ni persécuteur ni sauveur n’est pas si évident que ça.
Commençons déjà par faire connaissance avec nos 3 acteurs.
Le Sauveur (ou sauveteur)
Je l’avoue, j’ai tendance à être sauveuse donc c’est en toute humilité que je vous dresse ce tableau.
Nous jouons ce rôle lorsque nous venons en aide à quelqu’un qui ne l’a pas demandé ou que nous ne voulons pas le faire ou que ce n’est pas à nous de le faire.
Autrement dit, si tu réponds non à une de ces questions, tu es sauveur :
Est-ce qu’on m’a demandé de l’aide ?
Est-ce que je suis la bonne personne pour le faire ?
Est-ce que j’en ai envie ?
Et alors, en tant que parent, on est souvent dans ces cas là !
Ce n’est pas toujours négatif d’ailleurs : si quelqu’un se noie devant moi, je ne vais pas attendre qu’il me demande de le sauver.
Pour nos enfants, ça peut valoir le coup de s’arrêter 2 secondes avant d’agir et de se demander si notre intervention est nécessaire.
Mon fils risque de tomber du canapé et se faire mal, j’interviens.
Ma fille galère à faire ses lacets, je peux peut-être me montrer patient, disponible mais sans imposer mon aide.
En quoi est-ce un problème d’aider les autres ?
On peut penser que porter assistance est toujours une bonne action. Venir au secours de quelqu’un en danger, physique ou psychique, l’est certainement. Mais faire à la place de l’autre, intervenir sans lui demander son avis, c’est le mettre en position d’infériorité, de celui qui ne sait pas faire, qui ne peut pas faire. C’est l’empêcher de progresser et d’apprendre.
Imagine, tu es dans un magasin en train de galérer avec tes enfants qui te réclament tous les jouets qu’ils voient. Quelqu’un de très bien attentionné vient et s’adresse à tes loulous pour les calmer. Comment tu te sens ?
La réponse la plus probable est humilié, honteux, nul, pas à la hauteur…
L’intention de cette personne était sans doute louable. Il n’empêche qu’elle t’a empêché de trouver ta propre solution donc d’apprendre et a suscité chez toi des sentiments dont tu te serais bien passés.
Pourquoi on est sauveur ?
Ceux qui jouent ce rôle ne le font pas par hasard. J’en fait partie donc je sais de quoi je parle !
Ça permet de se sentir utile, les autres ont besoin de nous. C’est rassurant d’avoir une telle place.
On peut aussi se sentir investi d’une mission : faire le bonheur des autres. C’est le cas de beaucoup de mamans dévouées qui se sacrifient pour leurs familles, en oubliant de prendre soin d’elles et finissant par se transformer en persécuteur le jour où elles n’en peuvent plus.
Et puis certains sauveurs le font parce qu’ils pensent que les autres ne sont pas compétents et ne peuvent vraiment pas s’en sortir sans leur aide.
Comment sortir de ce rôle ?
En se posant les bonnes questions avant d’agir :
Est-ce qu’on m’a demandé de l’aide ?
Est-ce que je suis la bonne personne pour le faire ?
Est-ce que j’en ai envie ?
En assumant notre part de responsabilité : si j’ai fait plus que ma part, si j’ai aidé sans en avoir envie, c’était ma décision.
En apprenant à dire “Non”. Ce n’est pas facile pour tout le monde. Ça nécessite une certaine affirmation de soi. Oui, c’est ce qui se joue dans la fameuse phase d’opposition des 2 ans, le “terrible two” et qui se rejoue à l’adolescence.
Et ce qui va avec l’affirmation de soi, c’est le fait de prendre soin de soi. Être attentif à ses propres besoins, respecter ses limites, pour ne pas se laisser submerger par le fait de prendre soin des autres. (Ce sujet est abordé dans l’ebook “les 5 piliers du parent bienveillant” à télécharger gratuitement en bas de cette page😉 .)
Lorsqu’on sort du rôle de sauveur, il faut rester attentif à ne pas se transformer en persécuteur : “après tout ce que j’ai fait pour toi, tu es vraiment ingrat, maintenant débrouille toi tout seul!”, ni en victime “après tout ce que j’ai fait pour eux, c’est vraiment injuste.”
Le persécuteur
Celui-là, on le repère plus facilement : froideur, colère, cris, injures, violence physique ou verbale…
Pour autant, on peut tous être un jour persécuteur.
Parce qu’on était sauveur, qu’on en a beaucoup fait, trop fait et qu’un jour, on pète les plombs.
Parce qu’on est en manque de pouvoir personnel dans notre vie et qu’on pallie à ce manque en exerçant une autorité abusive sur celui qui est à notre portée : au niveau hiérarchique, social, ou plus communément sur notre enfant.
Parce qu’on n’est pas à l’aise avec nos émotions, donc celles des autres nous perturbent et nous les écrasons sans tressaillir.
Quelque soit la raison qui nous a menée à endosser ce costume, il est question de notre éducation, de notre enfance, de notre intelligence émotionnelle.
Quitter ce rôle
Pour sortir de cette situation, il est nécessaire de gérer notre colère, notre rancœur. Souvent, on persécute à la suite d’événements qui nous ont irrités, énervés. On s’en prend à celui qui ne pourra pas se rebeller. Là aussi, il est important de prendre soin de soi et de comprendre et accepter nos émotions afin de ne pas les décharger de façon toxique sur les autres.
Derrière ce rôle, il peut aussi y avoir une croyance. Tout comme le sauveur pense qu’il doit être utile pour être aimé, le persécuteur pense que s’il est gentil, il se fera avoir.
C’est alors difficile pour lui de sortir de ces jeux de pouvoir et d’oser une relation sincère et équilibrée.
Parfois, à force de persécuter, on peut se sentir seul et se transformer étonnamment en sauveur pour tenter de redorer son blason ou au contraire devenir plaintif, victime.
La victime
Dans tous ces jeux de pouvoirs, il y a une victime.
Que ce soit celle qui se fait persécuter ou celle qui se fait assister, elle souffre de ces relations. En fonction de l’intensité de la situation, sa souffrance est plus ou moins profonde et elle peut avoir des conséquences graves pouvant mener à l’extrême jusqu’à la dépression ou le suicide. Bien avant ces répercussions dramatiques, la victime se sent inférieure, manque de confiance en elle, perd espoir.
La victime est-elle responsable de sa condition ?
Se pose alors la question épineuse de la responsabilité. S’il est certain que certaines personnes sont dans l’impossibilité physique ou émotionnelle de se défendre, ce n’est pas toujours le cas.
Certaines personnes ont tendance à se positionner en victime : se plaindre, voire tout en noir, laisser faire les autres à leur place.
Je suis sûre que tu en connais. Moi, oui. Celui qui est débordé dès qu’il doit faire face à un événement nouveau. Celle qui ne dit jamais ce qu’elle voudrait faire et ensuite se plaint de ne pas l’avoir fait…
Parce que même la victime est dans un jeu de pouvoir. Elle prend un peu de pouvoir en se plaignant et en se faisant plaindre.
Un rôle difficile à assumer
Alors, oui, c’est sûr, personne n’a envie de se voir comme une victime et encore moins d’en assumer la responsabilité. Pourtant, dans certains cas, c’est salvateur.
Encore une fois, on endosse ce rôle en fonction de notre histoire et de ce qu’on nous a transmis.
Si dans ton enfance tu as entendu que tu n’étais pas capable, que tu étais nul, inintéressant, il est fort probable que ces étiquettes te collent à la peau et t’engluent dans ces croyances limitantes.
Comprendre nos jeux de pouvoirs pour l’avenir de nos enfants
Comme on l’a vu, notre enfance influence nos interactions humaines. Ce sont les croyances issues de notre histoire qui nous poussent à jouer ces rôles. Il est donc vraiment important de faire attention à nos mots et à nos comportements avec nos enfants pour qu’ils ne se créent pas ce genre de scénarios de vie négatifs.
Essayons au maximum de les encourager et de voir leurs qualités afin de les renforcer. Guidons les dans l’apprentissage de leurs émotions pour qu’ils puissent les assumer, les transformer en forces et se montrer empathiques.
Par ailleurs, nos enfants modélisent nos comportements. Ils nous voient faire et apprennent en nous regardant puis en nous imitant. Si nous voulons leur transmettre un mode de communication sincère et authentique, il nous faut en être l’exemple.
Et parce que ces jeux servent à grapiller un peu de pouvoir et d’attention, n’oublions pas de laisser de la liberté de choix à nos enfants, de leur donner du pouvoir au quotidien mais aussi de leur fournir quotidiennement des marques d’affections, des signes de reconnaissances positifs, de la tendresse, de l’amour.
C’est toujours plus facile d’avoir des relations sincères quand on a confiance en soi et en l’autre et que notre réservoir est bien plein.
L’espoir d’un avenir meilleur
Les relations humaines ne sont pas simples. Elles conjuguent nos histoires personnelles, notre passé, notre présent, l’influence de la société dans laquelle on évolue, l’impact de notre entourage.
Ce serait merveilleux si on pouvait tous se parler sincèrement, se respecter, se considérer comme égaux. La réalité est toute autre.
Pour autant, il est possible de progresser, d’apprendre. Prendre conscience des jeux auxquels nous jouons est un pas important vers l’authenticité. Se défaire de nos costumes pour se montrer tels que nous sommes est une autre étape. Demander pardon pour nos erreurs, comprendre nos émotions, soigner notre enfant intérieur… C’est un chemin parfois compliqué mais tellement enrichissant.
Personnellement, j’essaie de me détacher de mon rôle de sauveuse. Et toi, où en es-tu ?